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quarta-feira, 8 de abril de 2015

Non, le succès d’un musée ne se mesure pas uniquement au nombre de visiteurs

Qu’est-ce qu’un musée, et quelle est sa mission? Face aux impératifs de rentabilité et de performance, le directeur du Musée cantonal des beaux-arts de Lausanne, Bernard Fibicher, interroge la fonction et la valeur de ces institutions publiques.



Si les lieux d’exposition s’adonnaient à une course à la fréquentation, les fondations privées l’emporteraient. En 2013 par exemple, 334 508 personnes ont visité la Fondation Beyeler, 260 186 «seulement» le Kunstmuseum de Bâle. Considérer les chiffres de fréquentation comme seuls «indicateurs de performance», c’est admettre qu’un musée public, avec ses missions de service public, et qui dès lors échappe aux lois du marché, ne peut que s’incliner face à une fondation dont l’objectif est de maximiser ses recettes afin de pouvoir présenter des expositions de qualité.

Or la logique muséale – je parle ici du musée subventionné par les pouvoirs publics – est très différente. La spécificité de ses multiples missions fondamentales (collectionner, conserver, étudier, exposer) rend très difficile la définition de critères qui permettraient aux publics ou aux autorités de tutelle d’évaluer son degré de succès. Pour un musée public, la somme des visiteurs par exposition ou par an n’est de loin pas le seul facteur de réussite, ni d’ailleurs un indicateur de qualité. The Complete Frida Kahlo. Her Paintings. Her Life. Her Story , exposition de répliques (!) de peintures connues de l’artiste mexicaine qui tourne aux Etats-Unis avec grand succès, serait-elle la meilleure exposition de cette décennie?

Je vois d’autres pistes. On pourrait par exemple évaluer le temps passé dans un musée ou une exposition: l’expérience d’un visiteur qui investit une heure et demie auprès des œuvres vaut-elle celle d’un autre qui parcourt le Louvre en 30 minutes après avoir photographié la Joconde? Mais aussi: l’institution a-t-elle réussi à fidéliser ses visiteurs, et à diversifier ses publics? Est-ce que les classes d’école ont pris leurs habitudes au musée, et quels échanges ou projets découlent de ces visites? Les personnes peu familières des musées, ou en situation de handicap, trouvent-elles un accueil sur mesure? Finalement, le propos même de l’exposition a-t-il valeur d’inédit, et son intelligibilité est-elle garantie à tous? Loin des simples chiffres, ce sont les réponses à ces questions, élaborées par chaque institution en fonction de ses spécificités, qui définissent sa fréquentation.

Collectionner, conserver, étudier: ces missions fondamentales pour un musée, parties pourtant immergées de l’iceberg, impliquent à leur tour leurs propres curseurs sur la courbe du succès. Pour établir des «indicateurs de performance» dans ces domaines, les angles d’approche ne manquent pas. Est-ce que le musée mène une politique d’acquisition de qualité, et pertinente par rapport à ses fonds? Ses démarches de restauration et de conservation préventive assurent-elles la pérennité des collections qui lui sont confiées? Quel est le dynamisme de l’institution dans le domaine scientifique, et quel retentissement ont ses publications malgré un tirage qui échappe aux critères du marché? Quels moyens sont mis en œuvre pour donner à ses collections leur place dans le monde numérique? Les collaborateurs du musée sont-ils sollicités pour participer à des conférences, tables rondes, jurys et comités directeurs d’associations professionnelles, signe de la reconnaissance des pairs? Ensuite, à quelle fréquence les œuvres de sa collection sont-elles demandées en prêt pour être montrées de par le monde? Concrètement: la toute première rétrospective de Charles Gleyre en France, au Musée d’Orsay (fin 2015 – début 2016), serait-elle possible sans la magistrale exposition dédiée à ce peintre au Musée cantonal des beaux-arts de Lausanne en 2006-2007 et sa publication devenue une indispensable référence? Une avalanche de questions qui sont nécessaires à l’esquisse des tenants du succès d’un musée.

Les clés de réussite d’une institution muséale sont donc à mesurer à l’aune de déterminants complexes et guère quantifiables. Aussi longtemps que l’on considère le visiteur d’un musée comme un «client» ou, pire, comme un «consommateur culturel», qu’on assimile ainsi le musée à une entreprise et qu’on tente d’y appliquer les stratégies du succès commercial, qu’on engage à la tête des musées des managers ou administrateurs, que l’on réalise des expositions conformes aux études du marché et que l’on considère le musée comme un supermarché, cette jeune institution ne pourra jamais s’inscrire dans le développement durable de notre société et de ses besoins de connaissance, de partage, de confrontation et de remise en question. Le musée qui réussit, en construisant son propre modèle, est celui qui favorise une perception alternative et nuancée du monde, par l’encouragement à la distance critique, à l’aptitude analytique, à la maîtrise dans l’expression de sentiments ou de pensées.


Bernard Fibicher fonte: @edisonmariotti #edisonmariotti http://www.letemps.ch/Page/Uuid/4917c0fa-dd39-11e4-aa18-ff4de01147fa/Non_le_succ%C3%A8s_dun_mus%C3%A9e_ne_se_mesure_pas_uniquement_au_nombre_de_visiteurs

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