Des musées proposent des ateliers à des personnes atteintes de troubles cognitifs. Pour les aider à se resocialiser et à retrouver l’estime de soi.
Un comprimé de Picasso et une cuillerée de Sonia Delaunay, à prendre sans restriction : des musées comme le Louvre ou le Grand Palais, le château de Versailles ou le Centre Pompidou ont décidé de faire le pari d’une « prescription médicale artistique » pour des personnes présentant notamment des troubles cognitifs. Le succès du programme d’art-thérapie « Meet me at MoMa », lancé en 2006 au musée d’Art moderne de New York pour les malades d’Alzheimer, a largement inspiré ces initiatives qui émergent peu à peu dans les musées français. Reportage à la Piscine de Roubaix où depuis six ans, Julien Ravelomanantsoa anime des ateliers-visites mensuels, créatifs et ludiques.
Un moment de partage
En ce matin de décembre, des rires résonnent dans le hall d’accueil du musée de Roubaix. Guide et trublion en chef, Julien distribue embrassades et bises à son petit groupe hétéroclite. Aux fidèles de la première heure comme René, qui crayonne déjà le portrait de notre photographe, se mêlent des nouveaux, encore timides. Mais, par un calembour, Julien balaie les hésitations et les ronchonnements. Le tutoiement est de mise et les conditions sociales, la maladie ou les difficultés du quotidien laissées sur le pas de la porte. Au point que, parmi la dizaine de participants, il est difficile de distinguer les personnes malades des accompagnants familiaux.
« Cet atelier est un moment de partage. Les aidants sont ravis car, le temps d’une matinée, ils oublient leurs soucis. La thérapie vaut pour les malades d’Alzheimer comme pour eux », explique Julien. Un fil rouge que l’on retrouvera dans d’autres lieux aussi, comme au musée de Cluny, à Paris Ve, où l’art-thérapeute Marie-Georges Compper-Bruegel a fait de la mixité sa marque de fabrique. Autour d’activités sensorielles comme « Toucher la pierre, toucher le bois », où l’on rend compte de son ressenti, les familles valides et les autres en situation de handicap se rencontrent. « J’ai toujours voulu associer ces deux publics, confie-t-elle. Pour quelqu’un qui est handicapé, le fait d’être reconnu comme compétent par les siens et par les membres d’un groupe d’étrangers est une expérience réparatrice. Il s’agit de retrouver l’estime de soi. »
À Roubaix, une fois les personnes installées autour de la longue table de travail, le silence se fait. Feutres à la main, les yeux clos, chacun tente de reproduire par le geste artistique la cadence musicale proposée par Julien. Aujourd’hui, il s’agit de l’appel à la prière du Nouvel An juif, interprété par un schofar, un instrument composé de deux cornes de bélier. Nul prosélytisme ici, mais plutôt une articulation pratique autour de l’exposition temporaire du musée, Marc Chagall, les sources de la musique. Une entrée en matière et une façon de mettre en éveil les sens des participants.
Toucher les cinq sens
Au menu de la visite : des clés de compréhension, des références à l’histoire de l’art, des éléments biographiques et des analyses de tableau. On y apprend que pour Chagall, les bouquets de fleurs représentent sa femme, Bella, et que la couleur rouge symbolise les émotions puissantes. « Je suis très bavard, reconnaît Julien dans un éclat de rire. C’est dense, mais si vous faites attention, je ne donne aucune date. Le but est de vivre le tableau, de l’écouter et de partager ce que nous ressentons. » Car si la maladie d’Alzheimer altère la mémoire, elle n’a aucune prise sur les sensations. Face aux œuvres d’art, les commentaires fusent. Colette de s’exclamer : « Il est tordu ce peintre ! » Et René de surenchérir : « C’est moche ! » Heureusement, une dame vient conclure cet échange, laconique : « Les goûts et les couleurs, ça ne se discute pas. »
« Pour nous, l’œuvre n’est qu’un support, une modalité de langage. Nous n’avons aucune exigence vis-à-vis des participants. La visée n’est pas de rendre la maladie curable, elle ne l’est pas. Notre objectif est de toucher les cinq sens », argumente Christian Kordek, président de France Alzheimer Nord, association qui conçoit le projet. Une formule bienveillante qui a fait ses preuves pour Geneviève, adepte de l’atelier depuis deux ans. « Avant la maladie de mon mari, nous allions beaucoup au musée. À la maison, Antoine a même conservé dans deux gros classeurs des centaines de cartes postales représentant ses tableaux préférés. Cet atelier nous permet de rester en contact avec l’art. Nous ne sommes pas près de rater une séance. »
Lutter contre l’isolement social et culturel pour mieux vivre sa maladie ? Le défi est relevé pour Antoine, qui, d’un mois à l’autre, se souvient de ce qu’il a peint, des tableaux qu’il a commentés ou des émotions qu’il a ressenties. Des actions simples aux yeux du grand public, une petite prouesse quand on sait qu’un malade d’Alzheimer ne peut pas se souvenir des impressions immédiates.
De l’odeur au souvenir
Retour en salle d’expérimentation. À partir d’une odeur inconnue, que Julien nomme un « détonateur de souvenirs », il faut retrouver l’univers d’un tableau. Et dès le premier échantillon, la diversité des perceptions déclenche l’hilarité. Anne évoque l’arôme d’un malabar, tandis que Ghislaine s’imagine baignée dans les effluves d’un cabinet médical. Si l’exercice peut paraître périlleux pour certains, Julien passe dans les rangs. Par une main sur une épaule ou sur l’avant-bras, il rassure et met en confiance. « Avec les malades d’Alzheimer, j’improvise beaucoup, je m’adapte à leur situation. Seule la créativité et le plaisir sont de mise. »
La séance touche à sa fin. René repart avec ses croquis sous le bras. Sa fille promet de lui acheter un carnet à dessin. On se souhaite de belles fêtes de fin d’année avec en fond sonore Jean Ferrat chantant Chagall : « Le peintre est assis quelque part dans l’ombre / À quoi rêve-t-il sinon des amants / Sur leur beau nuage / Au-dessus des toits à l’horizontale… »
> L’art-thérapie près de chez vous :
À Paris, depuis 2007, l’association Action Culture Alzheimer, travaille en collaboration avec six musées de la capitale pour offrir aux malades et à leurs proches des visites accessibles et thématiques.
Tél. : 09 54 61 12 79 – www.actionculturellealzheimer.org
Répartie sur l’ensemble du territoire, la fondation France Alzheimer propose différents ateliers pratiques, des visites de musées aux concerts lyriques.
Tél. : 0 800 97 20 97 – www.francealzheimer.org
Tables rondes, ateliers, visites adaptées et projections, autant de rendez-vous ouverts à tous et gratuits. Du 20 au 27 janvier, le musée du Louvre présente sa première Semaine de l’accessibilité. Avec un nouveau programme dédié aux personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer, « le Louvre en tête ».
Tél. : 01 40 20 51 77 – www.louvre.fr
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