Le musée du quai Branly-Jacques Chirac, présente jusqu'au 2 avril 2017 l'exposition "Éclectique, une collection du XXe siècle". 59 oeuvres rares, appartenant à l'homme d'affaires Marc Ladreit de Lacharrière, qui font résonner les cultures entre elles. Cette présentation est aussi l'occasion de comprendre la démarche et la passion d'un collectionneur. Visite.
Jamais une exposition n'aura portée aussi bien son titre : Éclectique, car Marc Ladreit de Lacharrière cultive l'ouverture d'esprit et le refus des frontières, avec obstination. Sa Fondation Culture & Diversité propose à des centaines de jeunes, plus ou moins en difficulté, de vraies formations culturelles. Il a produit les spectacles de Laurent Gerra , mais aussi de Bernard Lavilliers. Il aide le Louvre à s'installer à Abu Dhabi, mais il siège aussi au conseil d'administration de Renault. On le dit de droite, mais il aide Martine Aubry à financer la Fondation Agir contre l'exclusion. N'essayez pas de le ranger dans une case, vous n'y arriverez pas.
Egalité des cultures
Même quand il collectionne des œuvres d'art, Marc Ladreit de Lacharrière ne rentre pas dans la norme, il ne cherche pas à spéculer, il n'écoute que son cœur et ses yeux. C'est vrai que l'homme possède un joli magot, mais pour lui, toutes les civilisations et tous les arts se valent. Un crédo que partage Stéphane Martin, Président du musée du quai Branly-Jacques Chirac. Et, au passage, j'y crois aussi. Ladreit de Lacharrière est un jeune collectionneur, il ne s'intéresse à l'art africain que depuis douze ans. Aujourd'hui, à l'heure où des grandes collections d'"Arts premiers" sont en train d'être dispersées, le musée du Quai Branly rend hommage à cet amoureux de l'art océanien et africain. "Comment aurais-je pu continuer à croire que seuls les artistes européens ont été depuis l'Antiquité en mesure de peindre et de sculpter, comme il nous l'était enseigné dans les lycées publics durant ma scolarité", écrit celui qui vit chaque jour au milieu de ses "enfants", des œuvres des Arts dit premiers, achetées dans des salles des ventes ou à d'autres collectionneurs.
Statue féminine. Angola, ethnie Tchokwé. Bois,
pigments, textile, fibres végétales, perles de verre.
Musée du quai Branly-Jacques Chirac, photo Claude Germain
Elégance
Je grimpe la longue rampe montante qui conduit aux expositions. Le sol est ocre comme la terre africaine, et les murs sont gris comme le béton parisien. La lumière est tamisée. Comme à chaque fois, j'ai l'impression de pénétrer dans les entrailles de la terre. Au bout de la rampe, j'aperçois cette statuette de grand format. J'approche, je la trouve très belle. C’est une jeune femme, élancée comme un top modèle, aux petits seins pointus. Elle prépare le repas et tient son pilon de ses deux mains, afin d'écraser le mil. Je remarque qu'elle a des scarifications très visibles sur le corps. D'après la commissaire d'exposition, Hélène Joubert, conservateur, responsable des collections Afrique du musée, il s'agirait du portrait commémoratif d'une belle jeune femme empoisonnée par son vieux mari jaloux...
Statue féminine "pileuse de mil". Mali, XVI-XVIIe siècle. Bois, pigments, ornements et pièces de restauration en fer. H : 100,5 cm x 18,5 x 24,5. Musée du quai Branly-Jacques Chirac, photo Claude Germain
Expression
Ce masque a beaucoup circulé. Picasso l'a vu. Il figure dans le salon du marchand et collectionneur Paul Guillaume, à côté des toiles de Soutine ou Modigliani ? Il a été acquis par un artiste à la vente de la collection Guillaume, puis il est resté dans un grenier de 1934 à 1965. Il est maintenant dans les main de Lacharrière, et pour quelques mois au musée. Il est bien connu des amateurs, car ses lèvres minces et l'humanité qu'il dégage sont étonnantes. Les rides, les plis, les scarifications sont remarquables. Longtemps, il a porté dans son dos une étiquette indiquant : "Côte d'Ivoire, environ Ve siècle", mais en fait, il serait du XIXe siècle. Je le regarde de près, j'ai l'impression d'un fantôme qui veut me parler : impressionnant...
Masque anthropomorphe, XIXe siècle, Côte d'Ivoire, ethnie Dan. Bois, pigments. H : 25,5 cm x 15 x 8. Musée du quai Branly-Jacques Chirac. Photo Claude Germain
Enfance
Mais Ladreit de Lacharrière, homme éclectique, s'intéresse aussi à l'art romain. J'observe cette belle sculpture. Héraclès, et c'est rare, est représenté sous les trait d'un enfant. Il porte la dépouille d'un lion (Némée), elle lui sert de protection pour la tête. Je note le léger déhanchement du corps qui confère toute sa sensualité à l'œuvre, de même que la chevelure bouclée. D'après les spécialistes, il devait tenir dans la main droite son arme de prédilection : un gourdin. Cette sculpture est-elle une œuvre de pur agrément ou une sculpture funéraire héroïsée ? Les experts hésitent encore...
Statue Héraclès enfant, IIIe siècle ap JC, marbre. H : 70,5 cm x 23 x 14. Musée du quai Branly-Jacques Chirac. Photo Claude Germain
Fil invisible
Ce tableau abstrait de Martin Barré mélange modernité et mémoire ethnisante. Il me fait penser à un tambour rituel d'une civilisation lointaine. Au milieu de nombreuses statuettes africaines, il a parfaitement sa place. Barré utilise la bombe à peinture et la couleur directement sortie du tube. Le motif principal est une flèche, vers le haut. Cette flèche renvoit-elle vers d'autres cultures ancestrales ? J'ai envie de le croire...
Martin Barré : 63CF, 1963. Peinture glycérophtallique et acrylique à la bombe aérosol sur toile. Diamètre : 130,5 cm. Musée du quai Branly-Jacques Chirac, photo Claude Germain
Chemin de lumière
Je remarque que cette flèche se reflète sur le tableau qui est face, un magnifique Hans Hartung (à droite) : un véritable chemin de lumière... Les couleurs se marient à la perfection.
Vue de l'exposition Eclectique, une collection du XXIe siècle. Musée du quai Branly-Jacques Chirac, photo Gautier Deblonde
Prière
En Nouvelle Zélande, au XXe siècle, on brandit de masques rituels pour faire venir la pluie et favoriser la pousse des légumes. Ces objets ne sont jamais portés par des hommes et ils ne sont pas détruits après la cérémonie. J'admire ce grand masque de bois, grimaçant, presque suppliant. Tout le visage est tendu, dans une prière qui semble venir de la nuit des temps.
Masque Marada Malagan, XXe siècle. Iles Tabar, Archipel Bismarck. Musée du quai Branly-Jacques Chirac, photo Claude Germain
Magie
Je continue visite, les murs sont coquille d'œuf. La commissaire de l'exposition , s'est assise dans un coin et attend qu'un journaliste vienne lui poser une question, mais personne n'ose. Face à moi, une étrange maternité assise. Une femme allaite deux jumeaux. Elle est coiffée d'un récipient contenant une corne d'antilope, qui évoquerait les notions de chasse et de magie.
Maternité assise, Côte d'Ivoire, etnie Senoufo. Bois, métal. H : 65 cm x 20 x 22. Musée du quai Branly-Jacques Chirac, photo Claude Germain
L'esprit du vent
Cet objet est, au départ, un porte-flèches. Il peut également supporté un arc. Il est ensuite devenu un symbole religieux. Il est l'emblème d'une société de chasseurs, qui vénéraient les esprits, surtout ceux du vent. Il pouvait donc aussi servir de porte offrandes. Il avait également le pouvoir de défendre le roi contre toute attaque. L'image féminine, au nombril très en avant et très scarifié, renforce encore ce rôle de déesse protectrice et nourrissante. Je fais le tour de cette statuette. Je suis stupéfait de la simplicité, de la beauté et de l'équilibre des formes. L'œuvre repose sur cinq pics : le menton très en avant, les seins pointus, le nombril proéminent, les genoux et les pieds. Croyez moi, pour bien regarder ces objets, il faut absolument en faire le tour et les regarder de profil.
Porte-flèche, insigne de prestige. République démocratique du Congo, ethnie Luba. H : 66 cm x 19 x 11. Musée du quai Branly-Jacques Chirac
Spiritualité et maternité
Cette pièce serait une des préférées du collectionneur. Une femme porte son enfant sur un côté. Le nombril est très souligné. Cette maternité a pour rôle de rappeler l'importance de la fertilité. Le rôle de la femme est avant tout de faire des enfant. Depuis, on a un peu évolué... Mais s'il y a culte de la conception, c'est pace qu'il y a beaucoup de fausses couches et de mortalité infantile. L'appel à une protection supérieure pour favoriser et protéger les accouchements n'est donc pas anodin. Je remarque le nombre incalculable de scarifications. J'apprends que cette sculpture, comme une véritable femme, a reçue un traitement à base d'huile de palme et de poudre rouge issue de bois de cam. La encore, j'ai l'impression que cette femme est en prière. L'aspect spirituel de ces œuvres africaines, saute aux yeux.
Maternité, XIXe siècle. République démocratique du Congo, ethnie Luluwa. Musée du quai Branly-Jacques Chirac, photo Claude Germain
Une fois de plus le Musée du quai Branly-Jacques Chirac, présente les secrets d'un collectionneur. A travers cette belle exposition, il dresse des ponts entre les civilisations et les siècles. La curiosité d'un collectionneur est une belle incitation à vivre ensemble. Et par les temps qui courent... Je pense que toutes les œuvres africaines et océaniennes que j'ai vues, ont été réalisées par de véritables artistes, malheureusement on ignore leurs noms. Mais ils méritent autant d'attention que d'autres créateurs très connus. A propos de cette collection Lacharrière, Stéphane Martin écrit : Les correspondances qui s'y nouent dessinent un territoire esthétique et affectif neuf, inspiré, singulier, qui est l'œuvre à proprement parler du collectionneur". "Éclectique" rend plus sensible et plus intelligent, c'est déjà pas si mal... En 2011, Jacques Chirac écrit à son ami Marc Ladreit de Lacharrière, pour l'inciter à présenter sa collection à un large public : "Marc, je sais que tu partages avec moi la conviction de l'égale dignité des cultures du monde et l'ambition de rassembler tous ceux qui, partout, s'emploient à faire progresser le dialogue des cultures et le rapprochement des civilisations". Aujourd'hui, avec cette présentation "Éclectique", c'est chose faite. Et finalement, une sculpture de la République démocratique du Congo a largement sa place à côté d'une chouette de Picasso ou d'un tableau de Nicolas de Staël. Si vous ne me croyez pas, allez voir sur place...
Musée du quai Branly-Jacques Chirac : 37 quai Branly, 75007 Paris
Mardi, mercredi et dimanche : 11h - 19h
Jeudi, vendredi et samedi : 11h - 21h
Entrée : 10 euros
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