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sábado, 14 de março de 2015

Björk entre au musée

Sur deux écrans géants, elle apparaît à genoux, au fond d’une grotte volcanique, dans la noirceur du basalte. Vêtue d’une robe sombre composée de fils de cuivre, elle se frappe la poitrine, comme pour dire que son cœur bat aussi fort que celui des entrailles de la terre. Comme un animal sonné, désemparé, elle jette sa tête en avant, en arrière. Puis marchant à pieds nus sur la terre noire d’Islande, entre deux parois rocheuses, elle touche la pierre comme si, après des tourments sentimentaux, seule la lave refroidie et solide lui permettait de s’accrocher à la vie. Elle implore les cieux, le regard obscur.



A l’exposition Björk du Moma. (Keystone)

Entre la sortie de son nouveau disque le 16 mars et son exposition au Museum of Modern Art, la chanteuse islandaise dévoile son univers où s’entremêlent les expériences visuelles et la musique électro-pop






Le film de onze minutes Black Lake (Lac noir), qui constitue l’un des éléments phares de l’exposition du Museum of Modern Art (MoMA) de Manhattan, fut une commande expresse de l’institution. Il traduit en images son dernier album Vulnicura (lire ci-contre) qui évoque sa rupture d’avec l’artiste contemporain Matthew Barney, avec lequel Björk a vécu plusieurs années à New York. Il est question de souffrances et d’amour, de mort et de renaissance. Pour raconter cette phase douloureuse de la vie, le film est projeté dans une salle dont les parois ont été recouvertes de 6000 cônes en feutre soigneusement cousus à la main. Une manière d’emmener le visiteur dans une aventure sensorielle à la manière d’un Joseph Beuys, qui, lors d’une exposition au Kunsthaus de Zurich, avait sensibilisé le public à l’importance de la matière. «Björk voulait que le décor ait une texture, qu’il soit vivant et intériorisant», explique David Benjamin, architecte ayant conçu l’espace de projection.

Grâce à une acoustique pointue, le Black Lake dévoile Björk dans ce qu’elle a de plus authentique, une artiste avant-gardiste, qui s’engage sans compter. Au moment du tournage, l’an dernier, dans le froid de l’Islande, le réalisateur Andrew Thomas Huang et son équipe étaient emmitouflés dans de gros manteaux. Björk était à pieds nus, dans sa robe légère, prise après prise. Comme si les aléas climatiques n’avaient aucune prise sur elle, cette femme taillée dans le roc sentimental d’Islande. Le son de Black Lake, amplifié par des basses qui secouent l’être entier, fait écho aux paroles émouvantes de la chanteuse. Curateur de l’exposition, Klaus Biesenbach en convient: Björk a des sentiments «océaniques. Elle éprouve le besoin de sortir de chez elle, d’aller vers la mer, de gravir les montagnes et de sentir l’extase romantique, inoffensive et préreligieuse d’être seule face au monde, amoureuse du monde et partie du monde.» Son attachement à sa terre d’Islande est d’autant plus viscéral et sans concession que l’artiste est née voici 49 ans au moment d’une éruption volcanique qui donna naissance à l’île de Surtsey.

En dépit de cette installation inspirante, l’exposition du MoMA ne rend pas pleinement justice à une artiste unique dans sa multiplicité. L’espace alloué à l’exposition est minimal et complique l’accès à l’intime de l’œuvre de Björk. Or la chanteuse, qui enregistra son premier album en 1977 avant de refuser, plusieurs années durant, la lourdeur de la notoriété en solo, est un foisonnement créatif où interagissent musique, écriture, photographie, mode, technologie numérique et poésie. Le musée semble n’avoir pas assumé jusqu’au bout sa volonté d’être à la pointe de l’interdisciplinarité des arts visuels et de mettre en scène cette musicienne dont l’unicité créatrice est parfois comparée à celle de Meredith Monk. Björk, explique Klaus Biesenbach, est de nature binaire, «agressive et vulnérable, courageuse et fragile, sauvage et sensible, petite fille et femme fatale, innocente créature de la nature et randonneuse romantique, […] guidée par l’instinct et l’intuition et dans le même temps méthodique et presque scientifique dans sa manière d’explorer de nouvelles formes (d’art) et de contenus».

Dans le hall d’entrée du musée, des instruments qui ont servi dans l’un ou l’autre des huit albums de l’artiste trônent, au milieu de la foule et du brouhaha. A l’image des «harpes de la gravité», utilisées dans son albumBiophilia, qui se balancent, déconnectées d’une émotion qu’on aurait perdue. A l’étage supérieur, un récit vaguement biographique de Björk, audible à travers un casque audio, écrit par le poète islandais Sjon et raconté par l’actrice et amie de Reykjavík Margrét Vilhjálmsdóttir, doit transporter le visiteur pendant une balade de quarante minutes. Mais le récit baptisé ­Songlines dessert l’artiste, trop hermétique. La balade est parsemée de mannequins grandeur nature de la chanteuse habillés d’innombrables robes qui ont fait d’elle le véhicule vestimentaire de nombreux stylistes. Y sont présentées la robe-cygne blanche qu’elle avait portée lors de la cérémonie des Oscars en 2001 ou le costume de la «femme sauvage vaudou» que Björk porte pour emmener un troupeau de yacks le long d’une rivière tibétaine.

Dans une vaste salle aménagée avec d’immenses cousins rouges, le MoMA met en exergue le rôle de catalyseur qu’a joué Björk pour marier les arts visuels et la musique pop. L’artiste islandaise a collaboré avec de nombreux cinéastes de renom pour permettre une visualisation de sa musique. Les 32 vidéos projetées sont le reflet du caractère avant-gardiste d’une chanteuse qui est vite devenue une icône de la chaîne de télévision MTV. Elles montrent comment Björk a fait s’évaporer les frontières entre les beaux-arts et la culture pop. Elle a embrassé l’esthétique de la vidéo expérimentale et du cinéma en recourant à la technologie numérique pour transformer son image comme une figure de jeu vidéo.

Après avoir refusé une première invitation en 2000 à s’exposer au MoMA, Björk a finalement accepté de s’illustrer dans l’antre de l’art contemporain new-yorkais. L’expérience new-yorkaise de Björk, qui n’a fait qu’une timide apparition lors de la présentation de l’expo à la presse, ne s’arrête heureusement pas là. La chanteuse a déjà livré l’un de ses sept concerts prévus à New York au Carnegie Hall, où elle a chanté ses déchirements intérieurs. Sans fard ni artifice.


«Björk», jusqu’au 7 juin 2015,
au Museum of Modern Art
de New York.

www.moma.org fonte: @edisonmariotti #edisonmariotti http://www.letemps.ch/Page/Uuid/698802c2-c994-11e4-959d-74804f4bcbe7/Björk_entre_au_musée

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