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domingo, 1 de novembro de 2015

A Washington, dernière ligne droite pour le musée des Afro-Américains

Des décennies de tergiversations, un concept paradoxal et, désormais, une course contre la montre : si tout va bien, le dernier-né des musées nationaux américains, qui sera consacré à l’histoire des Afro-Américains, sera inauguré en septembre 2016 à Washington par Barack Obama. Les concepteurs du musée s’en sont fait la promesse : le premier président noir des Etats-Unis coupera le ruban du National Museum of African American History and Culture(NMAAHC). Quoi de mieux que la force symbolique de cette image pour lancer sous les meilleurs auspices ce projet maintes fois avorté ?




L’ouverture du NMAAHC sur le National Mall verdoyant de la capitale fédérale, bordé par la quinzaine de musées nationaux gérés par la très officielle Smithsonian Institution, constitue en effet un événement politique autant qu’une gageure scientifique. Aujour­d’hui, l’imposant bâtiment de six étages, figurant une couronne africaine composée de centaines de plaques de fer forgé – hommage au travail des esclaves dans les Etats américains du Sud aux XVIIIe et XIXe siècles –, trône en bonne place sur l’esplanade de la capitale, au pied de l’obélisque du Washington Monument. Cet emplacement, au cœur des mémoriaux et musées qui fondent l’identité nationale américaine, n’est pas anodin : avant même la pose de la première pierre, en 2012, il a constitué une victoire symbolique pour les promoteurs du projet – au fil des ans, les ­désaccords sur la localisation du musée, que certains souhaitaient hors du Mall, ont nourri les atermoiements sur sa construction.
Histoire ancienne

Tout cela est désormais de l’histoire ancienne. A quelques centaines de mètres du ­bâtiment encore en chantier, le Musée national de l’histoire américaine héberge, jusqu’à l’ouverture, une exposition préfigurant le ­futur musée. Y sont présentés 140 des 33 000 objets collectés à ce jour par le NMAAHC autour des grands thèmes retenus par le musée : l’esclavage, la ségrégation, la vie des communautés, la culture et le sport. Un tableau figurant des esclaves en fuite ouvre l’exposition, qui se poursuit avec les photos d’une famille éduquée ayant obtenu sa liberté. La collerette d’Harriet Tubman, une esclave du Maryland qui a facilité l’évasion de nombre de ses compagnons, y côtoie le barda de soldats noirs durant la guerre civile, la nappe sur laquelle fut rédigé l’argumentaire demandant la déségrégation scolaire dans les années 1950, la combinaison du premier ­astronaute noir ou des costumes de scène d’artistes… La plus grande pièce du futur musée, un wagon datant de la ségrégation avec des sièges réservés aux gens de couleur, ne sera visible que lors de l’inauguration.

La nécessité de donner à voir la vie des Américains d’origine africaine et leur présence dans la grande épopée des Etats-Unis a mis des années à s’imposer. L’idée d’honorer la mémoire des Afro-Américains remonte à 1915 : des anciens combattants noirs de la guerre civile (1861-1865) demandent alors – en vain – l’érection d’un mémorial. En 1929, le Congrès donne son accord à la création d’un musée mais, alors que le pays plonge dans la crise, lui refuse toute subvention. A la fin des années 1960, dans la foulée des victoires liées aux droits civiques, l’idée est relancée, mais là encore, ni le monde universitaire ni le monde politique ne pousse en ce sens. « Longtemps, le groupe dominant, l’homme blanc d’origine européenne, a choisi de ne pas inclure cette ­histoire dans le récit national », analyse Rhea L. Combs, la conservatrice du nouveau musée.
Le Congrès donne son feu vert en 2003

Les efforts sont relancés à la fin des années 1980 par des élus comme John Lewis, un compagnon de route de Martin Luther King. Il se heurte cependant à une frange ultraconservatrice de parlementaires qui ne veulent pas mettre un dollar dans un tel projet. Les opposants au musée afro-américain, à l’instar du sénateur de Caroline du Nord Jesse Helms mettent en avant le risque d’être confrontés à « des demandes communautaires » sans fin. A cette époque, le Congrès vote pourtant les fonds pour la création du Musée des Indiens d’Amérique, qui verra le jour en 2004.

Des raisons moins avouables expliquent ces réticences, estime Julieanna Richardson, fondatrice, à Chicago, de l’institution The History Makers, consacrée à la préservation et à la collecte de milliers de témoignages audiovisuels d’Afro-Américains.« N’oublions pas qu’un groupe social a considéré pendant des décennies qu’un autre groupe n’avait pas de valeur », souligne cette ancienne avocate. Difficile dans ces conditions de lui accorder une place dans le récit national sans stigmatiser la partie de la population qui l’avait humilié. Au-delà des réels problèmes financiers,« le projet s’est en outre heurté durant des années à un manque d’éducation, un manque d’appréciation et un manque de documentation », estime-t-elle. Il aurait aussi pâti de la volonté de valoriser principalement « une histoire heureuse » de l’Amérique, estime de son côté l’historien John W. Franklin, aujourd’hui conseiller auprès du directeur du NMAAHC.

Il faudra donc attendre 2003 pour que le Congrès accorde son feu vert à la construction du musée afro-américain, après l’avis favorable d’une commission mise en place par le président George W. Bush et le soutien des responsables de la Smithsonian Institution. La moitié du budget, qui atteint 500 millions de dollars, est pris en charge par les finances publiques, à charge pour les promoteurs de le compléter par des dons privés. Parmi ces donateurs, l’animatrice et actrice Oprah Winfrey a apporté à elle seule 13 millions. Douze ans plus tard, et à moins d’un an de l’ouverture programmée, quelque 60 millions de dollars manquent encore à l’appel, selon M. Franklin.
Contribuer à « la réconciliation entre les races »

Ces difficultés matérielles n’ont pas remis en cause le consensus qui semble désormais acquis en faveur du projet. En revanche, une question de fond demeure : si le but consiste à (ré) introduire la population d’origine africaine dans l’histoire, sombre ou joyeuse, de l’Amérique, faut-il lui consacrer un lieu spécifique ? « Les femmes, les juifs ou les Indiens d’Amérique ont leur musée ; consacrer un musée à l’histoire des Afro-Américains n’est pas plus paradoxal », explique Mme Richardson. « Il fallait créer ce lieu, car il n’existait pas d’autres endroits où était racontée une histoire collaborative, soutient Jacquelyn Serwer, commissaire en chef du musée. Nous allons nous efforcer de montrer que pas un grand événement ne s’est produit aux Etats-Unis sans que les Noirs y soient impliqués. L’objectif est de créer des interconnexions, de démanteler les séparations. » « Le musée ne sera pas un musée sur les Afro-Américains mais pour les Afro-Américains », affirme son directeur, Lonnie Bunch.

Conçu par la commission mise en place par M. Bush comme un lieu de « guérison » susceptible de contribuer à « la réconciliation entre les races », le musée saura-t-il tenir ses promesses ? Les promoteurs du projet assurent qu’il ne s’agit « ni de victimiser les Noirs ni de culpabiliser les Blancs ».« L’idée est que ce musée contribue à une meilleure compréhension réciproque, explique la conservatrice du musée. On veut montrer que, comme dans les familles blanches, les origines et les histoires des familles noires sont multiples. Que l’énergie de la culture afro-américaine a irrigué la ­culture en général ou que les sportifs noirs sont des diplomates de l’Amérique à travers le monde. »
Trouvaille archéologique rare

En dépit des difficultés à rassembler des objets ayant appartenu aux esclaves, le musée entend pallier le manque de connaissances de la société américaine sur la période de l’esclavage, « le péché originel dont l’Amérique ne s’est toujours pas remise », ainsi que l’a récemment qualifiée Hillary Clinton, candidate à l’investiture démocrate. « La plupart des Américains pensent encore que l’esclavage était limité aux Etats “ignares” du Sud alors que les nordistes aussi furent esclavagistes », explique M. Franklin. Le musée exposera ainsi une trouvaille archéologique rare : des objets recueillis dans l’épave d’un navire négrier ­portugais, qui a sombré en 1794 au large de l’Afrique du Sud. Mais il a aussi l’ambition de s’attaquer à la persistance des discriminations à l’encontre des Afro-Américains. « On collecte actuellement des tracts et des objets liés aux manifestations de Ferguson [ville du Missouri en proie à des émeutes après la mort d’un jeune Noir tué par un policier blanc en 2014] ou aux actions du mouvement ­Blacklivesmatter [les vies noires comptent] », indique Rhea L. Combs.

L’« histoire heureuse » des populations d’origine africaine cohabitera donc avec la violence institutionnelle de l’Amérique blanche durant la période coloniale ou les années de ségrégation, et ses séquelles actuelles. Ses promoteurs le savent : l’enjeu sera de trouver un équilibre entre la mise en scène des connais­sances académiques et le risque de tomber dans une forme de militantisme.« On espère aussi en faire un lieu de débats sur les thèmes difficiles que sont l’esclavage, la ségrégation et les discriminations, alors que des institutions “blanches” auraient peut-être peur d’être entraînées sur de tels terrains », assure Jacquelyn Serwer. Les responsables du musée espèrent attirer 3 millions à 3,5 millions de visiteurs par an et placer ainsi le NMAAHC dans le tiercé de tête des musées nationaux. Juste derrière le Musée de l’espace, et au coude-à-coude avec celui consacré à… l’histoire américaine.



http://www.lemonde.fr/arts/article/2015/10/29/a-washington-derniere-ligne-droite-pour-le-musee-des-afro-americains_4799029_1655012.html#Pp4yl7JUbhbxxjxp.99

Cultura e conhecimento são ingredientes essenciais para a sociedade.

Vamos compartilhar.

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