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terça-feira, 8 de março de 2016

A Pigalle, le musée du phonographe et de l'histoire sonore se bat pour exister.

‘La Môme’ d’Olivier Dahan, ‘Inglourious Basterds’ de Quentin Tarantino, ‘Minuit à Paris’ de Woody Allen, ‘Marguerite’ de Xavier Giannoli : que possèdent tous ces films en commun ? Ils ont chacun emprunté l’un des magnifiques phonographes ou gramophones de la collection du Phono Museum, le musée du son enregistré. Un lieu étonnant, niché derrière une discrète devanture du boulevard Rochechouart qui ne laisse rien filtrer de ce qui s’y cache. 




A l’intérieur, Jalal Aro a pourtant rassemblé des dizaines de trésors anciens accumulés en vingt-cinq ans de recherche et de collaboration avec d’autres collectionneurs. Casquette de titi en couvre-chef, veste en cuir sur le dos, Jalal ressemble aux rockeurs parisiens des années 1980, loin de l’image de vieillard poussiéreux amateur de classique qui colle un peu aux fanatiques de 78 tours et de phonographes. 


L’intéressé confirme, il est venu à la musique à travers le rock. « Ma jeunesse, c’est Phil Collins, Pink Floyd, Dire Straits, qu’on écoutait dans la voiture avec les débuts de l’autoradio. » Né à Alep en 1967, Jalal quitte la Syrie à 20 ans : « J’en avais marre de la Syrie, même si Alep était une ville extraordinaire. Tout le monde se connaît là-bas, et moi j’avais une envie de liberté, alors j’ai suivi ma sœur qui faisait médecine à Paris. » En 1989, le jeune homme découvre lors d’une expo à la galerie Colbert le phonographe, premier appareil de restitution du son destiné au public, développé par Charles Cros, amélioré puis breveté par Thomas Edison en 1877. Pour Jalal, c’est le coup de foudre à la vitesse du son. L’émotion de la musique rencontre la grande histoire des objets qui l’ont diffusée, pour le plus grand plaisir de cet explorateur, qui peut enfin étancher sa soif d’absolu. « Il n’y a pas de limites ! s’enthousiasme-t-il. On connaît tous le phonographe avec son pavillon fleur, mais ensuite on découvre les cylindres, les écouteurs, les fontanophones à double pavillons pour les bals, etc. C’est comme une société, il faut de tout ! » 



L'invention artisanale de la stéréo : un fontanophone à double pavillon© Emmanuel Chirache

« Tout est une question de vibrations, comme la vie »

Le musée épouse cette diversité inépuisable de gramophones, qui lui donne cet aspect surréaliste de jardin aux corolles géantes. De quoi retracer l’évolution fulgurante d’une technique qui ne s’est pas tout de suite focalisée sur la musique. Les premiers phonographes à cylindres en étain fonctionnaient à la main et permettaient d’enregistrer sa propre voix, ce qui leur donnait plutôt un usage de dictaphone. « Pour s’enregistrer, il faut se placer face au cornet acoustique et crier très fort, explique Jalal. Si vous ne parlez pas distinctement et fort, on ne vous entendra presque pas. Lors de l’exposition universelle de 1889, on proposait aux gens de s’enregistrer puis ils partaient avec leur cylindre, qu’ils exposaient chez eux en souvenir, car ils ne pouvaient généralement pas l’écouter. » Plus tard, certains inventeront même des cartes postales sonores, vantées dans des affiches au slogan provocateur : « N'écrivez plus ! »

Des cylindres personnels, avec le nom, voire la photo, de celui qui a enregistré sa voix pour la première fois, Jalal en possède des dizaines, dans des états très variables. « Ce n’est pas la rareté qui m’intéresse, c’est l’émotion », souligne ce passionné qui ne tarit plus d’anecdotes une fois lancé sur le sujet. « On est toujours la troisième, quatrième ou dixième main d’un objet de collection. Dans les années 1930, ces objets expérimentaux étaient déjà collectionnés. » Ici, tout fonctionne encore, que ce soit les cylindres en cire ou les attractions foraines d’Edison avec des petits écouteurs, qui n’ont pas grand-chose à envier à ceux de l’iPhone. « C’était un sacré businessman, Edison. Les forains mettaient une machine à monnayeur et à écouteurs sur le phonographe, chaque personne devait payer pour écouter. »



© Emmanuel Chirache

A propos d’écouter, Jalal nous invite à faire marcher un gramophone à diaphragme des frères Lumière. Au bout de l’aiguille (qu’il faut changer après chaque disque), un éventail diffuse la musique à travers la pièce. L’effet est saisissant. En quelques secondes, l’auditeur est projeté dans une autre époque et l'envie lui prend de parler avec une voix nasillarde en fumant des havanaises. « Tout est une question de vibrations, comme la vie », philosophe joliment notre hôte. Plus loin, nous écoutons aussi un jukebox de 78 tours et un électrophone des années 1960, aux courbures typiques de la décennie. C’est aussi l’intérêt du musée, cette correspondance aiguë entre les objets et les époques, depuis les meubles en bois magnifiques des années 1920-30 jusqu’aux électrophones aux couleurs psychédéliques des seventies en passant par la miniaturisation du walkman durant les années 1980. 

Avec un tel patrimoine, si vivant et passionnant, pourquoi le musée doit-il se battre pour exister aujourd’hui ? Tout d’abord, parce que Jalal n’est pas le roi de la com. « Au départ, je voulais que le musée se fasse connaître par le bouche-à-oreille, nous avoue-t-il. C’est ça, ce que j’aime dans Paris, on tombe sur des choses par hasard. On voit de la lumière, on entre et on découvre un lieu incroyable par simple curiosité. » Plus grave, le musée est menacé de fermeture à cause d’une dette contractée auprès du bailleur, suite au refus de la mairie d’accorder une subvention. Pour sauver le Phono Museum, un appel à contribution a été lancé sur Ulule, avec des contreparties diverses, telles que l’enregistrement de sa voix ou d'instruments de musique sur un cylindre dans une cabine d’enregistrement. Alors si vous êtes mélomane, n'hésitez pas à vous promener « par hasard » boulevard Barbès pour tomber « par hasard » sur le musée de Jalal et ses gramophones aux mille et unes décorations.



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